Lutte contre la surpopulation carcérale : la fausse bonne idée du gouvernement

Ronalpia
7 min readSep 21, 2016

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Note proposée par Sylvain Lhuissier, entrepreneur social ayant fondé l’association Chantiers-Passerelles. Une association qui vise à optimiser le développement du Travail d’Intérêt Général (TIG), une peine plus économique et efficace que la prison.
Cette association fut incubé par
Ronalpia au sein de la promotion 2014.

La proposition récente de Messieurs Valls et Urvoas de financer l’accroissement du parc pénitentiaire a des allures de fausse bonne idée. Elle pose en tout cas de réelles questions sur la véritable efficacité de ce plan pour réduire la surpopulation, sur l’efficacité de la peine de prison, sur le coût que cela représente pour la collectivité, et sur l’absence du débat sur les alternatives.

La surpopulation carcérale, il était temps d’en parler ! Le 8 Août, Alors que nous atteignions en juillet dernier le plus grand nombre de personnes détenues en France le plus élevé de l’histoire, et le taux de surpopulation le plus élevé depuis 10 ans, le Premier Ministre et le Ministre de la Justice ont décidé de se rendre à la prison de Nîmes (taux de surpopulation record de 207%).

Mais, dans un contexte médiatique aussi nocif suite à l’attaque de Saint-Etienne-du-Rouvray, ce déplacement ne présageait rien de bon. Et en effet, l’annonce de Manuel Valls et de Jean-Jacques Urvoas de la création et du financement de nouvelles places de prison n’a rien d’enthousiasmant.

Lutter contre la surpopulation carcérale : pas de doute, c’est important et urgent !

Ce n’est pas l’objectif poursuivi pas nos ministres qui est mauvais. Redisons-le : la surpopulation carcérale est une vraie problématique, et elle atteint aujourd’hui des niveaux jamais atteint. La surpopulation carcérale entraîne des conditions de détention indignes, inhumaines pour lesquelles la France a été plusieurs fois condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. « Entasser » parfois trois à quatre personnes détenues dans une dizaine de m² ne permet certainement pas de remplir l’un des objectifs de la sanction : favoriser la réinsertion. Au contraire, les troubles psychiatriques se trouvent largement accrus en sortie de détention. Enfin, le travail du personnel pénitentiaire, notamment des surveillants se trouve gravement détérioré par cette situation et par les tensions inévitablement engendrés par le surpeuplement.

Construire des cellules n’est pas le seul moyen de réduire la surpopulation…

Le raisonnement est simple, il existe trois moyens de réduire la surpopulation carcérale :

- Construire des places de prison supplémentaires. C’est ce que le gouvernement a choisi de mettre en avant comme principale réponse.

- Réduire le nombre de personnes entrant en prison. Il s’agit des personnes condamnées à une peine de prison ferme ainsi que des personnes prévenues (incarcérées de manière préventives en attente de leur jugement). Dans les prisons françaises, il y a pas moins de 20 000 personnes prévenues pour près de 50 000 personnes condamnées, et ce nombre risque de ne pas décroître dans le contexte sécuritaire dans lequel nous nous engageons. La solution serait alors de développer les alternatives aux courtes peines de prison : le travail d’intérêt général, le sursis avec mise à l’épreuve, plus récemment la contrainte pénale…

- Accroître le nombre de personnes sortant de prison. Il s’agirait alors de développer les aménagements de peine qui permettent d’anticiper la sortie de prison et de raccourcir la peine pour accompagner la sortie dans un cadre contraint : il s’agit du bracelet électronique, du placement extérieur, de la nouvelle libération sous contrainte…

Nous sommes très nombreux à dire que, parmi ces trois options, la construction de nouvelles places n’est vraiment pas la meilleure.

Plus on construit de places de prison, plus on incarcère

Là encore, la logique est assez simple et bien réelle : plus on a de places de prison, plus on incarcère. Dans la région lyonnaise, la prison de Corbas était ouverte il y a quelques années pour répondre à la problématique carcérale sur le territoire… Elle est déjà largement surpeuplée.

Ainsi, la construction de nouvelles places n’a jamais réduit la surpopulation carcérale, et cette surpopulation semble être la seule limite qui s’impose aux juges pour ne pas aller toujours vers des peines plus longues et plus de répression. Comme le souligne Adeline Hazan, Contrôleuse Générale des Lieux de Privation de Liberté, construire plus de prisons risque d’avoir comme seul impact un allongement des peines, une augmentation du nombre de personnes condamnées et de personnes prévenues sans amélioration aucune des conditions de détention… Et aucune amélioration de l’efficacité de la peine ! Car il serait quand même temps de se la poser cette question de l’efficacité : plus de 60% des personnes sortant de prison sans accompagnement y retournent dans les 5 ans qui suivent, et jusqu’à preuve du contraire la prison est la peine qui, tous critères rendus équivalents, conduit au plus fort taux de récidive.

Mais on peut pousser le jeu encore longtemps, toujours sans plus d’efficacité. Les Etats-Unis ont par exemple atteint un taux d’incarcération dix fois supérieur au nôtre, sans élément probant sur l’impact sur la sécurité…

La prison, ce trou sans fin pour les finances publiques

Dire que la grande fierté des deux ministres est d’annoncer que, contrairement aux annonces précédentes, ce plan de construction sera financé. Et nous devrions nous en satisfaire ? Alors que les prisons françaises coûtent plus de 2 milliards d’euros par an aux contribuables, nous devrions être satisfaits d’entendre que plusieurs centaines de million d’euros supplémentaires seront consacrés à cette sanction qui n’a pas fait preuve de beaucoup d’autres choses que sa capacité à produire de la colère, de la récidive, de l’isolement, de la radicalisation.

Et quel désastre quand on voit combien les politiques de prévention, les acteurs de l’insertion et de la probation manquent de moyens pour mener et développer des actions qui ont fait leur preuve.

Où est le plan pour développer les alternatives et les aménagements de peine ?

Le Code Pénal est clair, la prison doit être la solution de dernier recours, et il existe un panel d’alternatives aux courtes peines d’incarcération qui ont largement fait leur preuve. Où est passé le plan d’action pour développer la contrainte pénale, alternative créée par la loi de 2014 et plébiscitée par les Conseillers Pénitentiaires qui travaillent quotidiennement à l’accompagnement des probationnaires (personnes suivies par la Justice hors de la détention) ? Où est le plan de renforcement de la peine de travail d’intérêt général, créée il y a plus de 30 ans et qui fait figure de peine intelligente, efficace ?

Et comment le Ministre de la Justice peut-il ne pas tirer le signal d’alarme sur les aménagements de peine ? En effet, le prononcé des mesures d’aménagement de peine est en baisse criante, alors que leur pertinence et leur efficacité n’est pas remise en question. Ainsi, les libérés conditionnels récidivent moins (taux de recondamnation de 39% dans les 5 ans, contre 63% pour les sortants en fin de peine).

Et quand va-t-on parler de la “surpopulation probationnaire” ?

Des cellules surpeuplées, c’est alarmant, et on en voit bien les dégâts et les conséquences. Ce que l’on perçoit souvent moins, c’est que la majorité des personnes suivies par la Justice ne sont pas incarcérées. Elles sont suivies et accompagnées en « milieu ouvert », par les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Ainsi plus de 170 000 personnes sont suivies en milieu ouvert contre environ 70 000 personnes en détention. Aujourd’hui, ces conseillers ont plus de 100 personnes à suivre, parfois jusqu’à 150 alors qu’il ne faudrait pas dépasser les 40 suivis pour un travail approfondi et efficace (d’après les règles européennes de probation). Cette surpopulation met en danger la qualité de leur travail, et va finir par mettre en péril la qualité des alternatives à la prison. C’est ainsi de plus en plus compliqué, faute de moyens, de mettre à exécution une peine de travail d’intérêt général. Nous courrons donc le risque de décrédibiliser ces peines alternatives, quand un glissement intelligent des budgets vers les alternatives pourrait ouvrir tellement de potentiels.

Comment expliquer cette orientation ? Les conséquences de la politique de communication

Déjà à l’été 2014, au prétexte du bras de fer politique qu’il mena et remporta contre Christiane Taubira, Manuel Valls mettait à terre le travail mené par l’ensemble des professionnels de la Justice pénale dans le cadre de la Conférence de Consensus. Il affaiblissait ainsi considérablement la création de la nouvelle peine de Contrainte Pénale, cet outil prometteur contre la surpopulation carcérale. En en faisant une peine inaboutie, et par conséquent peu comprise par les magistrats, il enterrait alors provisoirement la chance de faire de cette sanction une peine qui aurait remis la prison à sa juste place, celle de dernier recours.

Aujourd’hui encore, cette orientation est une affaire de communication. Dans un contexte d’élections proches, où l’on reprocherait au Président sortant de n’avoir rien fait contre un état dans les prisons qui pourrait favoriser la radicalisation, il était de bon goût de se préoccuper à nouveau de cette problématique. Mais, loin des ambitions du début de quinquennat, il ne pouvait plus être question dans le contexte actuel de défendre le développement des alternatives à la prison. Le véritable courage politique qui aurait consisté à réaffirmer avec force et pédagogie la nécessité de développer ces peines alternatives aura donc cédé le pas à la réponse prétendûment autoritaire et légèrement démagogique.

Et pourtant, les solutions continuent de se construire !

Pas de solution miracle bien sûr, qui pourrait prétendre en avoir ? Mais les formations et le métier des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation sont en train d’évoluer, élargissant encore davantage leur expertise du traitement du risque et du besoin des probationnaires (personnes devant exécuter une peine).

De nombreuses associations, notamment fédérées au sein de l’association Citoyens et Justice, ont des places de Placement à l’Extérieur (mesure efficace d’aménagement de peine) qui sont inoccupées.

La fédération FARAPEJ propose avec ses associations membres d’appuyer le développement de la Contrainte Pénale.

Le Forum du travail d’intérêt général, créé par notre association Chantiers-Passerelles, pousse à donner un nouveau souffle au travail d’intérêt général.

L’Institut Français pour la Justice Restaurative défend à travers la Justice Restaurative de nouvelles formes d’implication de la société dans le processus pénal.

Au côté d’un service public qui ne cesse de se perfectionner, les acteurs de la société civile semblent bien prêts à continuer de porter ces alternatives. L’appui et l’engagement de l’Etat dans cette direction ne pourrait être que bienvenu.

Sylvain Lhuissier

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Ronalpia

Ronalpia accompagne des entreprises sociales en Région Rhône-Alpes depuis 2013.