Carnet de route : Accompagner des entrepreneurs sociaux en milieu rural

Ronalpia
8 min readDec 23, 2019

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Décembre 2019

Cela fait longtemps, avec Jérémy Camus (qui a piloté ce sujet chez Ronalpia jusqu’en août 2019) et Josépha Poret (en charge du développement territorial de Ronalpia), que nous souhaitions écrire un article pour raconter le chemin parcouru depuis début 2018 et partager nos apprentissages sur la mise en place d’un programme d’accompagnement d’entrepreneurs sociaux en milieu rural.

Nous avons décidé de faire confiance à ces entrepreneurs intrépides à la fois déterminés, ambitieux, réalistes et généreux qui ont la force de penser, dessiner et façonner le monde rural de demain !

Depuis des décennies, les grandes villes n’ont cessé de centraliser les services et l’innovation, au détriment des villes moyennes et plus globalement d’une campagne qui connaît trop souvent raréfaction de l’emploi, difficulté d’accès aux services de proximité, disparition des services publics, faiblesse de l’offre loisirs et culture, délitement du lien social, fragilisation du modèle agricole, difficulté d’accès aux soins, isolement des personnes âgées, hausse des coûts et des temps de transport…

“L’innovation sociale est la grande oubliée”

Face à ce constat, la première démarche est souvent de promouvoir le développement industriel et commercial. L’innovation sociale est la grande oubliée, alors qu’elle apporte de nombreuses alternatives et solutions généralement mieux adaptées aux ressources et aux besoins spécifiques de ces territoires, et permet aux habitants de se réapproprier le développement de leur lieu de vie tout en (re)créant une identité et une intelligence collective plus forte.

Beaucoup d’acteurs travaillent, chaque jour, à construire des réponses aux besoins peu ou mal couverts dans le monde rural : des collectivités, des entreprises, des chercheurs, des artistes… et des entrepreneurs. Ils créent des produits et services qui changent le quotidien d’une personne et parfois la dynamique de tout un territoire. Ils s’efforcent de déployer des solutions concrètes et de s’allier aux acteurs de terrain pour faire, ensemble, bouger les lignes. Ils prennent des risques, ils innovent, ils mettent leur temps, leur énergie et leurs compétences au service de l’intérêt général.

Il existe en France une inégalité territoriale d’accès à l’accompagnement pour les entrepreneurs.

Ces entrepreneurs n’ont pas toujours de dispositif d’accompagnement accessible et adapté à leurs besoins, qui leur permette de lancer et développer leur entreprise sociale sur leur territoire en étant accompagné et avec les mêmes chances que les entrepreneurs métropolitains.

Chez Ronalpia, nous rêvons d’un monde où tous ceux qui entreprennent au service des fragilités, sont encouragés et accompagnés pour le faire !

Depuis 18 mois, nous essayons donc de modéliser et expérimenter un dispositif d’accompagnement permettant à ces entrepreneurs sociaux situés en ruralité de se consacrer pleinement au développement de leur activité en les aidant à trouver les ressources en eux, dans l’écosystème local et auprès de leurs pairs et en éclairant leurs choix.

Voici les cinq premier grands enseignements appris en chemin :

1. Une ruralité aux mille et une figures

« Mais qu’entendez-vous exactement par ruralité ? ». Voici la question récurrente à laquelle nous avons longtemps essayé d’apporter une réponse la plus claire possible. A l’instar du CGET, il nous semble important aujourd’hui d’affirmer que la ruralité revêt en fait mille et une figures avec des caractéristiques certes communes (densité faible, part prépondérante de territoire non-bâti, mobilité principalement fondée sur l’automobile individuelle avec mouvements pendulaires, déficit d’ingénierie…), mais également des écarts parfois importants qui donnent toute leur singularité à nos campagnes (dynamique économique et/ou démographie, pression foncière, part de l’agriculture, accès aux services, diversité des emplois, degré́ d’interdépendance avec les espaces métropolitains voisins…).

“Les besoins des entrepreneurs ruraux sont relativement similaires d’une ruralité à une autre !”

Mais est-ce finalement si important de catégoriser ces différents espaces ? Car les conclusions de notre étude terrain réalisée début 2018 et de nos premières expérimentations menées depuis sont assez claires : les besoins des entrepreneurs ruraux sont relativement similaires d’une ruralité à une autre !

2. Des besoins de connexion, d’ancrage local et d’expertises sectorielles

Plus d’un simple isolement géographique, les multiples entrepreneurs rencontrés sur notre route confient avant tout se sentir globalement peu compris dans la dimension sociale et alternative de leurs projets et donc finalement peu soutenu localement dans leurs aventures entrepreneuriales. Ils expriment alors très clairement le besoin de se connecter à des pairs (entrepreneurs sociaux, même lointains si nécessaire), qui parlent le même langage, qui vivent ou ont vécu des expériences similaires, qui partagent des valeurs communes et qui explorent comme eux des nouveaux modèles économiques.

“Ces entrepreneurs souhaitent en priorité miser sur les ressources et compétences disponibles sur leur territoire.”

Ensuite, attachés profondément à leur territoire sur lequel ils ont décidé de vivre et auquel ils ont décidé d’apporter une solution à un besoin bien spécifique, ces entrepreneurs souhaitent en priorité miser sur les ressources et compétences disponibles sur leur territoire. Ils expriment également clairement le besoin de renforcer leur ancrage local en se connectant aux acteurs existants : fournisseurs, distributeurs, financiers, clients…

Enfin, on constate assez rapidement une récurrence de projets dans des secteurs d’activités similaires d’un territoire à l’autre dont la mobilité, le vieillissement de la population ou encore les services de proximité qui rentrent assez logiquement dans le “TOP 3” des problématiques abordées par ces entrepreneurs. Qu’ils innovent ou qu’ils reproduisent des solutions déjà développées par ailleurs, le besoin d’expertise dans le secteur d’activité abordé devient rapidement très stratégique pour eux.

3. Des entrepreneurs de territoire avant tout

Si le terme “entrepreneur social” bénéficie aujourd’hui au sein de la culture urbaine d’une certaine reconnaissance et même attractivité, il n’en est pas encore de même dans les territoires ruraux pour lesquels ce terme évoque au mieux le monde associatif, les services à la personne ou encore l’insertion par l’activité économique, et le plus souvent des projets sans réel modèle économique.

Nos premières tentatives de communication mettant fortement en avant ce terme “entrepreneuriat social’’ se sont d’ailleurs soldées par de cuisants échecs. Triste souvenir de solitude par exemple pour cette réunion d’information à Bourg-en-Bresse relayées tambours battants mais sans aucun participant le soir venu…

Les entrepreneurs (…) se sont reconnus plus volontiers comme des “entrepreneurs de (leur) territoire’’

La sémantique a ses raisons que la raison ignore ! Mais toujours est-il que les entrepreneurs que nous essayions de détecter se sont reconnus plus volontiers comme des “entrepreneurs de (leur) territoire’’ ou “porteurs de projet de territoire’’ qui identifient des enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux locaux et qui décident d’y apporter des solutions pérennes en partenariat étroit avec l’écosystème existants.

4. Un réel “vivier” largement sous-estimé

En 2017, 25% des projets candidats au programme Incubation à Lyon, Grenoble et Saint-Etienne provenaient de territoires situés en dehors des métropoles ; et notre étude terrain menée début 2018 auprès d’un vingtaine de territoires en dehors de ces métropoles n’a fait que confirmer cette tendance. Mais nos premières expérimentations ont dépassé toutes nos hypothèses les plus folles et fini par convaincre les acteurs les moins confiants sur le potentiel de création d’entreprise sociale sur leur propre territoire.

“Mais nos premières expérimentations ont dépassé toutes nos hypothèses les plus folles”

Lors de nos deux derniers appels à candidature (l’un sur un territoire plutôt “péri-urbain” d’environ 90 000 habitants et l’autre sur un territoire plus isolé d’environ 50 000 habitants), nous avons détecté plus de 50 porteurs de projet ! Alors que, à titre de comparaison, nous détections une centaine de projets lors de notre appel à candidature lancé quelques semaines plus tôt sur les trois métropoles (qui comptent ensemble plus 2 millions d’habitants).

5. La force de la coopération

Services de développements économiques des collectivités, chambres consulaires, coopératives d’activités économiques, espace de co-working, réseaux associatifs de financement à la création … Un écosystème d’appui à la création d’entreprise existent déjà de façon plus ou moins dense dans les territoires ruraux. Mais Ronalpia apporte une réponse souvent inédite sinon complémentaire à l’offre d’accompagnement existante sur ces territoires pour des projets avec une finalité sociale et/ou environnementale qui sont en phase d’émergence.

L’une des clés de succès centrales de notre dispositif d’accompagnement sur ces territoires réside dans la capacité à créer des coopérations étroites avec les acteurs déjà en présence. Ce sont eux qui par leur connaissance de l’écosystème local vont permettre aux porteurs de projet accompagnés par Ronalpia d’accélérer leur ancrage sur leur territoire et d’optimiser ainsi leur chance de réussite.

6. “Le boeuf est lent mais la terre est patiente” *

Nombreux sont les apprentissages qui nous attendent encore, et la route sera longue avant d’arriver à répondre à tous les besoins des ces entrepreneurs qui émergent chaque jour sur ces territoires ruraux en quête de nouveaux modèles de développement.

Mais nos convictions et nos intuitions suffisent à nous motiver pour continuer à avancer sur le chemin. En soutenant l’entrepreneuriat social, nous sommes persuadés que les campagnes ne seraient plus vues comme des territoires en crise à développer, mais comme des lieux d’expérimentation et d’innovation sociale à part entière :

  • améliorant la vie des habitants en imaginant de nouveaux services de proximité ;
  • créant de l’emploi par la redynamisation économique locale ;
  • et contribuant à créer une société plus résiliente en renforçant le lien social et en (re)mobilisant la consommation et le financement de proximité.

Après 1 an et demi d’expérimentations, nous renouvelons l’accompagnement d’entrepreneurs sociaux sur des territoires ruraux (Drôme, Biovallée) et en périphérie de métropole (l’Ouest lyonnais) et continuons d’expérimenter sur différents formats d’accompagnement :

  • des formats courts “Impacte ton territoire” à Voiron courant décembre,
  • et prévoyons deux lancement d’incubateurs de territoire courant 2020 afin d’accompagner ces entrepreneurs toujours en proximité.

Chouette programme, non ?

*Confucius

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Josépha Poret, responsable du développement territorial de Ronalpia
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Jérémy Camus, en charge du développement territorial chez Ronalpia jusqu’en août 2019
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Appel à projets dans l’Ouest Lyonnais et la Biovallée est clôturé depuis le 21 janvier. Suivre les appels à projets sur ronalpia.fr

Ronalpia, association de Loi 1901, accompagne ces femmes et ces hommes qui apportent des solutions entrepreneuriales aux besoins sociaux et environnementaux peu ou non couverts, en Auvergne- Rhône-Alpes, depuis 2013. Ronalpia détecte, sélectionne et accompagne des entrepreneurs sociaux à fort potentiel d’impact, dans leur lancement, leur développement ou leur implantation.

Sa mission : fédérer une communauté autour d’eux et réunir les conditions pour qu’ils puissent se consacrer pleinement au développement de leur activité et maximiser leur impact social.

Quelques entrepreneurs accompagnés en 2019 par Ronalpia en Biovallée et dans l’Ouest Lyonnais

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Ronalpia

Ronalpia accompagne des entreprises sociales en Région Rhône-Alpes depuis 2013.